Récit d’un vol aller et retour à La Tuque

Récit d'un vol hors du commun au 47ième parallèle

Le 7 mai 2013, les premiers planeurs à décoller, quand même tardivement dans la journée, soit vers 12h30 ou 13h00, reviennent au sol peu de temps après leur décollage puisque la convection est encore précaire à basse altitude. Les conditions sont hachurées, turbulentes et difficiles.

À la lumière de cette difficulté qu'éprouvent ceux qui m'ont précédé,  je décide de me faire larguer un peu plus haut et plus au nord afin de m'approcher des seuls cumulus visibles dans le ciel de Portneuf. Donc je laisse l'avion à 3200' et projette de monter dès que possible dans les montagnes car celles-ci sont génératrices de meilleures ascendances, les cumulus en faisant foi.

Après le largage, je n'échappe pas aux difficultés de ceux qui m'ont précédé. Une réelle bataille pour gagner quelques pieds entremêlé de fortes chutes. Je me retrouve à faire de la pente sur la petite colline située à l'est du Lac Rita.

Je note qu'à 3000 et 4000 pieds, il fait très chaud dans le planeur, pratiquement plus qu'au sol. Premier indice d'une couche d'inversion qui rendrait la convection difficilement pratiquable. Je persiste à demeurer à cet endroit qui par son relief et son orientation avec le soleil, devrait être le meilleur endroit pour parvenir à dépasser cette inversion. J'entends sur la radio un autre planeur qui s'annonce dans  le circuit.

Mais voilà qu'à 5000 pieds, le taux de monté s'améliore et soudainement une baisse importante de la température de l'air extérieure est perçue par la ventilation. À 5500 pieds, il devient évident que la sous-couche d'inversion est traversée. Les ascendances deviennent franches et puissantes et le son de mon vario atteint des fréquences que je n'avais jamais entendues auparavant sur mon LX. De toute évidence, le soleil très chaud de mai parvient à chauffer suffisamment le sol pour que les bulles traversent une inversion de près de 5000 pieds d'épaisseur.

Déterminé à rester au nord dans les montagnes, je me dirige vers Rivière-à-Pierre. Une fois rendu à ce village,  je parviens à dépasser 10 000 pieds et d'autres cumulus plus au nord m'invitent à garder mon cap tout en restant à distance planée du terrain mais surtout du champ que je me suis choisi dans le village. Il faut dire que cette commune est en plein coeur de la forêt et que le seul endroit atterrissable plus au nord, est La Tuque situé 70 km plus haut.

Dans ma poursuite vers le nord,  je trouve impressionnant de ne voir que de la forêt à perte de vue tout autour, mais mon champ de référence rassure mon côté rationel. La succession des généreux cumulus se poursuit et j'aperçois distraitement sur mon XCSoar que j'arriverais à 3496 pieds au-dessus de l'altitude du circuit à l'aéroport de La Tuque.

Je relis attentivement l'information pour bien l'assimiler et ce n'est qu'à ce moment que l'idée de traverser le Parc pour me rendre à cette latitude, m'effleure l'esprit. Jamais auparavant je n'aurais envisagé tel "task". Je me mets en mode analytique tout en progressant entre 9000 et 11000 pieds. Une telle altitude en planeur est l'équivalent d'avoir un réservoir additionnel d'essence en voiture.

L'allure du ciel diffère un peu vers La Tuque mais semble très optimiste. Pendant mes 360 degrés en ascendances, je ne vois que de la forêt à perte de vue. Je me rappelle très bien mon champ de référence qui est toujours accessible en plein centre de cette forêt. Je décide donc de poursuivre sur le cap nord-ouest avec l'intention d'atterrir à La Tuque.

Une épreuve non pas de vitesse, car l'environnement m'incite à rester haut, il va sans dire, mais une épreuve rarissime qui est celle de traverser 95 km de terres inhospitalières dans un aéronef dépourvu de toute énergie exception faite de la batterie de la radio.

Je suis finalement arrivé au-dessus du circuit de l'aéroport de La Tuque après avoir demandé par radio à GIV s'il pouvait m'informer de la fréquence de La Tuque.  Je n'avais pas cette information à bord car je n'avais jamais pensé m'y rendre un jour.

À 8000 pieds d'altitude,  je réalise qu'il me serait même possible de revenir vers le sud en vol plutôt que de le faire par récupération.  Aller à La Tuque en planeur était pour moi en soi un exploit, mais le faire aller et retour, c'était presque plus que le client en demande. Je prends tout de même quelques photos de la piste de La Tuque avant de changer de cap.

Et là, le moment le plus impressionnant du vol. Tu prends un cap sud vers une destination non visible à quelque part au beau milieu de 90 km de forêt. Je dois m'assurer sans l'ombre d'un doute que je peux atteindre soit mon champ de référence de Rivière-à-Pierre ou soit la piste de La Tuque maintenant située derrière moi et ce, même si je rencontre une zone de chute sévère. Le vent est nord-ouest donc légèrement favorable pour le sud mais contre moi si je rebrousse chemin. La journée est avancée, il est 15h30. Les conditions seront-elles encore là pour l'heure qui vient?

Je m'avance donc dans la forêt en souhaitant me remonter pour augmenter mes marges de sécurité. Le prochain nuage prometteur est assez éloigné. Je m'en approche en m'assurant avec XCSoar et mon LX que j'ai toujours des alternatives et que je ne suis pas en train de me peinturer dans le coin. Je ne veux pas vivre ce que les vélivoles appellent le "Ass hole Grip". Je l'ai expérimenté une fois il y a bien des années et je m'en rappelle encore. Désagréable.

Enfin une ascendance décente qui me donnera ma marge de sécurité. Ici, je peux vous dire que l'on thermique au maximum de nos capacités, s'en est beau à voir. Et ici aussi on est content d'avoir expérimenté, étudié, mis à l'épreuve maintes fois et maîtrisé notre outil de navigation, dans mon cas XCSoar.

Finalement le cumulus visé me livre la marchandise et j'avance vers Rivière-à-Pierre toujours invisible, mais avec une marge de 2000 à 3000 pieds sur mon calculateur. J'en préfère plus que moins, car ce qui m'attend n'est pas une piste mais un champ identifié en vol comme vachable. Mieux vaut un peu plus de temps pour analyser et planifier l'approche.

Mais tout se passe pour le mieux avec encore de beaux plafonds qui maintiennent continuellement le vol dans des plages sécuritaires. Sur ma route, Bruno me propose de me rendre à St-Marc-des-Carrières afin de compléter un triangle plus payant sur OLC. Bonne idée, mais la nature encore déchaînée me fait réaliser que j'arriverai trop haut à l'entrée de notre zone de 6000 pieds, ce qui me permet d'aller plus loin. Je mets alors le cap sur Lac-à-la-Tortue. En m'y rendant,  j'observe un changement significatif du ciel m'indiquant que les ascendances ne seront probablement plus au rendez-vous pour le retour. Il est presque 17h00.

Oh surprise, le dernier beau cumulus près du St-Maurice me donne de l'énergie comme si la nature m'envoyait son dernier souffle de la journée. J'atteint 12 100 pieds. J'apprendrai à mon retour qu'il s'agit d'un record en ascendance thermique dans Portneuf.

À 10 km au nord du Lac-à-la-Tortue, je tourne finalement vers St-Raymond en "final glide". 30 minutes plus tard, je passe au-dessus de notre piste à St-Raymond sans avoir fait un seul virage.  Un segment de vol de 73 kilomètres effectué à 153 km/h de moyenne. Décidément, la nature s'est déchaînée en ce début de mai 2013 pour nous donner des conditions de vol à voile inespérées.

Mon vol entier a totalisé 270 km à une vitesse moyenne de 73 km/h et ce malgré le fait que durant mes segments au-dessus des régions boisées inhospitalières,  j'ai choisi de rester haut, au détriment de la vitesse. Ce vol m'a permis de tirer le maximum de notre nouvelle monture ASW-20 / C-GRKX et j'ai la certitude que cette journée restera longtemps gravée dans ma mémoire. Pour le moment, j'ai le sourire bétonné dans la face.

Quel beau sport que le vol à voile et que de satisfactions il peut apporter à ses adeptes. La saison est encore jeune. Je vous en souhaite tout autant pour faire de 2013 une saison qui se sera démarquée de toutes les autres.

Denis Pépin, membre 075

 

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